TEXTES: SAMANTHA LUNDER
PHOTOS: GENNARO SCOTTI

 

Tina et Michel Perret-Gentil ont passé leur vie à fabriquer des marionnettes pour leur théâtre itinérant. Ensemble depuis leurs vingt ans, ils ont laissé leurs formations de postière et de vitrier pour vivre de cet art.

Les deux Romands n’ont eu qu’une dizaine d’années une maison à Genève. Le reste du temps, ils ont préféré voyager et habiter dans un ancien car postal, un bus et des roulottes.

Ils ont toujours la flamme. A septante ans, ils organisent, cette année, la 15e édition de leur festival Poussière du Monde au Grand-Lancy dans le canton de Genève.

Des remorques vieillies par le temps, des chaises en plastique posées ici ou là. En arrivant sur ce terrain vague quelque part dans la périphérie genevoise, l’ambiance est particulière. Au milieu des feuillages, quatre roulottes au toit arrondi se dessinent. La mine radieuse, Tina et Michel nous invitent dans leur maison ambulante: un havre qu’ils ont fabriqué de toutes pièces. Il y a leur chambre dans l’une d’entre elles, une autre pour les visites des petits-enfants, le bureau et finalement leur pièce de vie. Celle-ci tient dans un petit habitacle aux parois boisées, dont on peut presque toucher les deux côtés en tendant les bras. Tina et Michel Perret-Gentil vivent ici depuis 2012. Ils ont installé leur «maison» à leur façon. Le sol est recouvert de tapis de Roumanie et les étagères d’objets ramenés de voyages. Sans oublier les plus importants: les marionnettes accrochées un peu partout. Symbole de ce que les deux septuagénaires ont fait durant quarante-cinq ans.
Le Genevois et son épouse originaire des Grisons ont fabriqué des dizaines de ces personnages en bois, pour partir à l’aventure avec leur théâtre itinérant Pannalal’s Puppets. «On s’est toujours sentis privilégiés et riches d’avoir vécu comme ça», raconte Tina, installée à la petite table de la cuisine. Ici, les souvenirs viennent se mélanger à une odeur d’encens: le couple se remémore sa rencontre à l’âge de vingt ans. Au départ, rien ne les prédestinait à cette vie nomade. «Michel faisait des nettoyages de vitrines en ville et il voulait même ouvrir son entreprise, qu’il aurait appelée Le Verre Luisant. Moi, je voulais travailler comme mes tantes dans une poste», continue-t-elle. Finalement, rien de tout cela: Ils partent en Inde avec toutes leurs économies pendant un an. À leur retour en Suisse, ils découvrent leur spectacle de marionnettes. «On a tout de suite réalisé que c’était fait pour nous», se souvient Michel.

««On a tout de suite
réalisé que c’était
fait pour nous.»»

Michel Perret-Gentil

«On s’est toujours sentis privilégiés et riches»

Tina et Michel décident alors de repartir au Rajasthan pour s’imprégner de la culture indienne. «Quand on est arrivés, les habitants croyaient qu’on venait pour faire leur éducation, alors que, non, on voulait apprendre leurs arts traditionnels», rigole Tina. Sur place, Michel fabrique des marionnettes et son épouse les habille. C’est le début d’une longue aventure autour de cette passion commune. «On a joué à Berne notre premier spectacle pour l’Association suisse des marionnettistes, c’était fou le succès qu’on a eu!» s’exclame Tina. Pour se déplacer, ils achètent un ancien car postal, qu’ils aménagent: «On allait partout avec, on se parquait devant les hôtels où on donnait un spectacle et on allait juste demander la clé de la chambre le matin pour se doucher, c’est ce qui nous a donné l’idée de vivre dans une roulotte.» Ils quittent finalement leur maison de Genève et complètent leur équipement avec un vieux bus Mercedes. «Nous, nos deux enfants et un bouvier bernois, on vivait très bien avec très peu», affirme Tina. Une partie de leur vie sédentaire les a tout de même suivis. «La porte des toilettes qu’on a maintenant, Michel l’a récupérée de notre maison: on l’a installée dans chaque bus qu’on a eu.»

Obligés de déplacer leurs roulottes à quatre reprises

Leurs marionnettes n’ont pas non plus pris une ride: pour celles qui ne servent pas de décoration, elles vivent dans une yourte au milieu des roulottes. Les toutes premières construites en Inde sont bien là. «Toutes ces marionnettes sont un peu comme nos enfants», confie Tina. Plus loin, certaines rappellent des souvenirs plus douloureux. «Michel a fabriqué cette ballerine et cet acrobate pour notre cirque de souris, c’était le jour avant son arrêt cardiaque…» Le mari se porte bien, aujourd’hui, mais le couple a commencé à arrêter de fabriquer ses marionnettes après l’accident. Ils les gardent toutes bien précieusement et continuent à les utiliser dans leurs représentations annuelles à Poussière du Monde, le festival qu’ils organisent, depuis quinze ans, au mois de mai au Grand-Lancy (GE). Ils y accueillent des artistes du monde entier.
Aujourd’hui, les marionnettistes touchent l’AVS et vivent toujours aussi simplement. Ils espèrent toutefois ne pas devoir encore se déplacer. «Ici, c’est le quatrième endroit où nous nous sommes installés, on a dû quitter les autres à cause de constructions prévues ou de dénonciations.» Car, même s’ils sont bien Suisses, ils ont souvent dû se justifier. Tina raconte cette fois où ils avaient élu domicile sur un terrain au milieu d’un quartier bourgeois de Genève: «Le lendemain, la police est venue vérifier si nous étions des Gitans. Douze ans plus tard, quand nous sommes partis, la femme qui nous avait dénoncés a pleuré car elle nous avait adorés.» Dans le fond, Tina et Michel expliquent n’avoir jamais voulu fuir la société, mais simplement vivre d’une façon qui leur correspond: proche de la nature et de leurs valeurs.

FIN